J'attends by Capucine Ruat

Auteur:Capucine Ruat [Ruat, Capucine]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Stock
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00

Seule Mané me console de cela. Seule Mané n’attend rien de moi. Quand j’esquisse des pas dans son salon elle dit que je suis gracieuse.

Chez elle je me réfugie près de la fenêtre, au soleil. À midi je suis en pyjama, les cheveux décoiffés, je bois un thé avec un croissant et une brioche sucrée, me réveillant doucement. J’ai toujours la meilleure place, dans la lumière, la place qu’elle me cède. Tandis que je petit-déjeune, elle mange sa bouillie : du pain décongelé, trempé dans du lait concentré et du chocolat, avalant de pleines cuillers de nutella. Elle est assise devant la desserte roulante, face à la télévision. Nous ne passons à table que pour les invités. Après le journal et la météo, nous regardons sa série préférée. Je retrouve Cheryl et Brad, divorcés après la disparition de leur fille Nikki, Heather et Jesse, ou Barbara. Je zappe sur les autres chaînes puis je sors. Je remonte les ruelles de la vieille ville, les murs frais et humides, les étals, jusqu’en haut, là où se voit l’horizon d’un océan, par-delà les tuiles ocre. Je continue à grimper dans le jardin étagé, avant de m’asseoir dans l’ombre d’une glycine. Ensuite je vais au cinéma ou fais des courses. Je rentre vite. À vingt heures Mané se couche, elle se lève à six heures, attendant l’aube qui émerveille. Chacune a sa vie, ses heures secrètes. Je regarde la télévision après minuit ou je rêve dans mon lit. Les bruits de la rue montent dans la tiédeur de la nuit.

Je n’ai pas de corps, léger, il me manque une douceur inavouée. Une apesanteur. Je m’enfouis, m’évanouis, sous un vieux plaid taché qui sent mauvais. Ça fait un cocon, on est mieux comme ça. C’est une couche avec le monde me dit Mané qui est si fine. Autrement j’ai froid, je suis presque nue. Du fauteuil, je vois le ciel bien bleu, le toupet des palmiers et le mordoré des toits, tandis que sa voix m’apaise, fait le berceau des rêves.

J’aime aussi la caresser. Je chouine, cherche sa peau, son odeur, comme un chat cherche ma place auprès d’elle. J’aime la peau de Mané, j’aime la peau de ma mère, mais leurs peaux sont étrangères l’une à l’autre. Ce sont des peaux qui ne se frottent pas, ne s’adoucissent pas et qui ont perdu l’odeur l’une de l’autre. Moi je connais leur odeur, je connais leurs mains nues, rugueuses et maladroites. Comment oublier, l’odeur du lait, la première odeur sur sa peau ? Comment oublier l’odeur de sa mère, de sa fille ? Cette odeur de toi.

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